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CHANSONS POPULAIRES DE HAUTE BRETAGNE par Arthur de la Borderie.

La chanson du Saule

Celle-ci est d'un tout autre genre, Elle se chante sous diverses formes, avec diverses variantes ; en divers lieux de la Haute Bretagne, entre autres à Châteaubriant. Elle a une relation singulière, fort imprévue, mais, on le verra, incontestable avec la célèbre et mélancolique romance du Saule, que dans Othello, le sombre drame de Shakespeare, la pauvre Desdemone, accablée par la sourde colère du Maure, chante au quatrième acte, par un pressentiment de son abandon et de sa mort prochaine.

" La pauvre âme {dit cette romance) s'assit en soupirant au pied d'un sycomore. - Chantez tous le saule vert ! "
" Sa main sur son sein, sa tête sur son genou, - Chantez le saule, le saule, le saule ! "
" Les fraîches ondes couraient auprès d'elle et murmuraient ses soupirs. - Chantez tous le saule vert. "
" Ses larmes amères tombaient et adoucissaient les pierres. - Chantez le saule, le saule, le saule ! "

Notre chanson bretonne du Saule - disons-le de suite - n'est nullement dans ce ton; mais le vieil et curieux usage, la cérémonie populaire à laquelle elle est liée n'en rattache pas moins son origine à celle de la vieille romance anglaise, dont Desdemone ne chante qu'un fragment et que nous compléterons plus loin.

L'usage dont je veux parler se pratiquait à Châteaubriant il y a une douzaine d'années - peut-être y existe-t-il encore. - J'en tire la description d'une feuille locale (le Journal de l'arrondissement de Châteaubriant) qui, sous la date du 29 avril 1882, disait :

" On a mis ces jours derniers à Châteaubriant de nombreux bouquets de saule. Cette coutume du Bouquet de saule se pratique, non-seulement dans notre ville, mais aussi dans le pays d'alentour "

Voici en quoi elle consiste.

Quand une jeune fille qui a refusé un jeune homme se marie avec un autre, quand un jeune homme, après avoir recherché une jeune fille, la délaisse et épouse une autre personne; si toutes ces péripéties, toutes ces petites intrigues sont venues à la connaissance du public, alors, la veille du mariage, les jeunes gens de Châteaubriant se réunissent, parfois au nombre de plus de cent, et vont processionnellement porter à la demeure du refusé ou de la délaissée une branche de saule ornée de lanternes vénitiennes, d'oignons et de linges, en chantant la complainte qui suit :

Sur un air connu à Châteaubriant.

1. Farila lala, c'était une jeune fille (bis)
Farila dondé, qui, voulait s'marier.

2. Farila lala, son amant va la voir,
Farila dondé, le soir après souper.

3. Farila lala, il la trouva seulette,
Farila dondé, sur son lit qui pleurait.

4. " Farila lala, qu'avez-vous donc, la belle,
Farila dondé, qu'avez-vous à pleurer ? "

5. " Farila lala, que j'ai entendu dire,
Farila dondé, que vous alliez m'quitter. "

6. " Farila lala, ceux qui vous l'on dit, belle,
Farila dondé, ont dit la vérité, "

7. " Farila lala, pliez-moi mes chemises,
Farila dondé, et mes mouchoirs dressés, "

8. " Farila lala, venez me reconduire,
Farila dondé, jusqu'au bord du rocher, "

9. Farila lala, quand elle ne l'a plus vu,
Farila dondé à la mer s'est jetée,

10. Farila lala, mange, beau poisson, mange,
Farila dondé, tu as de quoi manger.

11. Farila lala, tu as la plus belle fille,
Farila dondé, qu'il y a dans l'évêché.

12. Farila lala, elle a les cheveux jaunes,
Farila dondé, et les sourcils dorés.

13. Farila lala, et la bouche vermeille,
Farila dondé, comme la rose au rosier.

Si l'on supprime les fioritures de remplissage farila lala et farila dondé, on verra que chaque couplet se compose d'un seul vers de douze pieds coupé en deux et que tous ces vers riment ensemble :

Il était un' jeun' fille - qui voulait s'marier ;
Son amant va la voir - le soir après souper.
....................................
Elle a les cheveux jaunes - et les sourcils dorés,
Et la bouche vermeille - comm' la rose au rosier.

Cette " cantilène " populaire est chantée en choeur par toute la troupe pendant qu'elle se rend au domicile du refusé ou de la délaissée. Arrivé là tout le monde fait silence, on se met à attacher le bouquet de saule, les oignons, les linges, les lanternes vénitiennes à la porte ou à la fenêtre ou même à la cheminée de la maison, et pendant cette opération, le meilleur chanteur du groupe débite, au nom de l'abandonnée, le récitatif suivant :

Oh, que j'ai de chagrin ! Mais je ne puis pleurer…
il n'y a personne ici pour me reconsoler,
Une rare beauté q'mon coeur a tant aimée,
A la fleur de mon âge il me faut la quitter !

Alors, pour rendre un peu de courage à cette pauvre âme en peine, une autre voix l'interrompt et s'écrie vivement :

Plus de chagrin pour vous;
Mamzell', consolez-vous !

La plainte reprend ensuite néanmoins, mais un peu moins désolée, ce semble, en ces termes :

Il va se marier à la Saint-Jean d'été ;
Il s'en va épouser la faraud' du quartier.
Ah! si j'avais connu la faraud' du quartier...
Elle ne m'aurait pas coupé l'herbe sous l'pied!
Je m'en irai si loin aux champs me promener
Que je ne verrai pas mon mignon épouser…

La cérémonie se termine ensuite par quelques libations ; c'est de rigueur. D'après le témoignage des Châteaubriantins que j'ai pu consulter, jamais cet usage n'avait donné lieu à aucun désordre. Cependant, en 1882, la police, on ne sait pourquoi, l'interdit. On m'a assuré qu'il a survécu à cette interdiction et se pratique encore dans le pays de Châteaubriant.

Revenons un instant à la romance anglaise, Shakespeare n'en a cité que quelques strophes; on la trouve tout entière dans un recueil intitulé Reliques de l'ancienne poésie anglaise, édité au siècle dernier par l'évêque Percy. C'est une longue et sanglotante élégie mise dans la bouche d'un amant abandonné, qui parmi ses gémissements dit ceci :

" Je porte la guirlande de saule, puisque mon amour m'a fui: une guirlande qui convient aux amants abandonnés..."
" O saule, saule, saule! La guirlande de saule, signe de son infidélité, devant moi est placée."
" Elle est là pour m'inviter à désespérer et à mourir…"
" Sur le tombeau où je reposerai, amis, suspendez-la pour proclamer mon malheur. Chantez! oh, le saule vert sera ma guirlande !"

Le saule est donc formellement donné ici comme l'attribut naturel, la parure convenable des coeurs trompés, des amantes et des amants délaissés: c'est de la même idée exactement qu'est sorti l'usage du bouquet de saule de Châteaubriant. Puisque Shakespeare trouva cette idée vivante en Angleterre dès le XVIe siècle, il y a lieu de tenir aussi pour fort ancienne la cérémonie du bouquet de saule et la rustique cantilène qui l'accompagne.

Seulement cette cérémonie et cette chanson de Haute-Bretagne sont comme une parodie malicieuse et narquoise de la vieille complainte anglaise, qui, elle, est toute faite de larmes et de sanglots.

Il y a d'ailleurs de cette chanson d'autres versions dont la chute est assez différente.

La jeune fille abandonnée ne se jette pas dans l'eau, du moins on l'en retire à temps. Son infidèle, après avoir couru le monde, est pris de remords et revient au bercail, mais trop tard :

Farila lala, quand il fut sur la lande,
Farila dondé, entend les glas sonner.

Il demande à son père - qui l'on va enterrer.
- " Las! mon fils, c'est ta belle - qui vient de trépasser. "
Il a pris son épée - sur la pointe s'est jeté,

La chanson galaise ( Galaise est le féminin (assez mal formé d'ailleurs) de ou gallo ou galo, haut- Breton ) - qui n'est pas tournée à la tragédie - proteste contre ce dénouement violent et s'écrie :

Faut-il que, pour un' fille, - un garçon s'est tué !

Il y a même une autre version où le garçon ne se tue pas et se contente d'en montrer la velléité. Il dit à son page :

- " Donne-moi mon épée - car je veux me tuer. "

Mais le page l'arrête par ces mots :

- " Faut-il, pour une fille, - qu'un garçon se tuerait ? "
" Nous allons en Hollande - nous en r'trouv'rons assez, "
" Des brunes et des blondes, - et des noir', pour changer. "

Cette note narquoise est fréquente dans les chansons populaires de Haute~Bretagne, on y trouve cependant aussi la note émue, le sentiment profond et même tendre, - par exemple dans cette petite chanson quintinaise des Trois filles de prince.

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